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Jazzmix in New York retrace huit concerts de huit groupes actuels de New York, filmés dans huit différents clubs de Jazz de Manhattan. Jazzmix est aussi et surtout une balade dans le New York d'aujourd'hui puisque pendant ces huit concerts, le film se promène dans les quartiers des différents clubs de jazz avec une touche de poésie propre à New York, c'est-à-dire métissée, urbaine et résolument vibrante. Une radioscopie du jazz à New York qui doit rendre compte de l’incroyable inventivité de cette scène musicale.
Une ville se raconte, une ville qui ne déborde jamais, une ville night and day, une ville qui foisonne de Greenwich Village et de son Zinc au Hip hop center de Harlem, le Jazz Gallerie d’Hudson street, les branchés de Tribeca, la Knitting Factory de Brooklyn, le bocal rouge ou le Joe’s pub. Extérieur jour, intérieur minuit ou autour. Huit dates, huit concerts, huit heures de tournage, huit groupes aux influences multiples, huit quartiers de Manhattan, le temple du jazz ou l’improvisation règne en maîtresse sur les caves et les clubs. Huit clubs, huit soirs, huit sortes de jazz, huit configurations différentes et une clé : l’adaptation à chaque lieu et aux êtres humains. Quand la ville semble dormir, une autre ville s’éveille s’accouplant à l’esprit qui unit dans la chair et les jeux rituels du jazz l’invention des nations, unies. Jazzmix in New-York, le son des photos, la musique de la narration faite révolution !
La sélection des lieux et des concerts a été faite par le directeur de la chaîne Mezzo, validée par Amos Rozenberg le producteur. Le son est un son 5.1. Aucun dialogue, aucun discours, de l’image, du son de la narration, de l’improvisation. Amateur éclairé, opérateur perfectionniste et réalisateur de haut vol, Olivier Taïeb, grand voyageur devant l’éternel, savait-il ce qui l’attendait en partant huit jours, huit nuits filmés ce concerto en facettes majeures du vingt-et-unième siècle ? Il s’y était préparé, avait pensé les choses mentalement car saisir les rituels de passages tous aussi différents qu’une percussionniste haïtienne, un saxophoniste réalisant une performance inédite avec deux batteurs, une clarinettiste hallucinante passant des gammes modales au plus pur klezmer illuminée devant les chuchotements de ses compagnons de cuivre, un chanteur psalmodiant un phrasé pastoral et apostolique sur des ambiances synthétiques expérimentales, la prestation d’Ambrose Akinmusire accompagné par Walter Smith III au sax tenor et par la batterie enflammée de Justin Brown réveillant John et Miles d’ une virtuosité confinant avec la langue des anges, tout ceci relève de deux choses : l’inconscience la plus totale et le talent. Improviser, le talent à l’état pur, une communication pouvant sembler impénétrable et que l’équipe et Olivier Taïeb saisissent avec un objectif, inégalé jusqu’à présent. Couleur, chaleur, sens de l’environnement, explosion des cadres, panels, gros plan, non seulement nous emportent dans une histoire musicale donc humaine mais ouvrent nos portes mentales pour révéler des lacs majeurs où nagent l’intime et le saint, l’homme intérieur, sa mystique, sa spiritualité, partagée, enfin.
Qui dit jazz dit improvisation et paysages d’intérieurs d’hommes qui visitent la musique, parfois de façon hermétique. Mais le jazz, saisi, brut, attrapé par quatre cameramen hors pair et un monteur exceptionnel, n’est-il pas la narration idéale ? La question vaut d’être posée. Improvisation est la clé, encore faut-il définir le mot. De la musique baroque à la musique d’opéras, l’improvisation a toujours été présente et le témoignage ultime du talent et de la virtuosité. Pour cela, sont nécessaires et insuffisantes les techniques et la maitrise des modes tonales. Il faut être au-dessus, et c’est ce que le jazz demande. Depuis le vingtième siècle, tant la pop que la musique contemporaine, rien n’aura été aussi écrit. Le jazz, l’âme et son souffle que les juifs nomment « nefesh » demande autre chose que la lecture littéral, l’interprétation première diffusée par le texte. Non, il demande à être relié. Saint swing prie pour nous.
Qui dit jazz peut dire pour le néophyte, ennui. Ici, ce n’est jamais le cas de par la variété des lieux et des genres, la perception humaine des situations musicales, le saisi des interprétations Ici, nous parlons bel et bien cinéma, film, montage, lisibilité, sensibilité. Souriez, vous n’êtes pas dans la salle, vous êtes avec eux, servis sur un plateau, celui de la vie, narrée, sentie, respirée, inspirée. Vous êtes au cinéma. L’amateur du geste place ses hommes sur la scène maitrisant l’espace, accompagnant les musiciens dans leur performance, proches, proches de leur inspiration à en sentir leur souffle et la sueur. La référence : les années soixante, le be bop, la naissance du cool et des oiseaux noirs qui créent la bibliothèque universelle des standards. Référence à William Claxton (photographe, jazz life) des années cinquante ;
Une ville se raconte par la musique et le jazz, musicalement et sociologiquement est bien plus qu’une ou toutes les sources, le jazz est culturellement une racine première, comme peut l’être Edward Hopper pour la peinture. Une ville est narrative et les plans de cargos, de Loubavitch, de central Park, d’Harlem modernisé depuis l’élection d’Obama sont loin d’être des clichés ou des cartes postales, mais le lien.
Hymne communautaire ? Hymne au métissage ? Non, un fait. Qui ne raconte pas la ville, l’origine, la multitude du jour pour mieux revenir à ses salles mythiques de nuit craint les fantômes indispensables de toute narration. Olivier Taïeb et son équipe témoignent que le jazz est sûrement cette narration idéale de la grosse pomme. Jazzmix in New-York, ô quand les Saints sont en marche ! Sublimes.
Jazzmix in New York, trop cliché
Par Emmanuel Cirodde (Studio Ciné Live), publié le 01/03/2011 à 20:00
Un doc sur New York et sa musique, le jazz.
Cette ballade musicale à New York nous permet de découvrir des sessions live éblouissantes, dans les clubs qui comptent aujourd'hui dans la Grosse Pomme. Du très abordable et charismatique big band de Jason Lindner, à la voix lumineuse de Theo Bleckmann, en passant par la relecture des standards par Ambrose Akinmusire, l'expérience offre un aperçu convaincant du son jazz contemporain. Dommage, en revanche, que cette avant-garde sonore trouve refuge dans un écrin visuel qui ne nous épargne aucun cliché propre à cette ville.
Dans la lignée de quelques prédécesseurs rares mais non moins prestigieux, Jazzmix in New-York témoigne magnifiquement de la puissance de création du jazz, de sa diversité, de sa sensibilité. Mais quand Straight no Chaser (1988) de Charlotte Zwerin se concentre sur le jeu et le génie éruptifs de Monk, Step across the border de Nicolas Humbert et Werner Penzel (1990) sur Fred Frith et la naissance de l'underground new-yorkais (sphère de Zorn), Off the Road (2001) de Laurence Petit-Jouvet sur la tournée du contrebassiste Peter Kowald ou encore Sonic Mirror (2007) de Mika Kaurismäki sur la polyrythmie du batteur Billy Cobham (du Mahavishnu Orchestra), Jazzmix in New-York ne s'ancre pas sur un musicien capable de soulever des sons nouveaux de son instrument, mais sur une ville, une ville qui, par son mouvement interne et son histoire, sa diversité et sa richesse, suscite des formes nouvelles très éloignées les unes des autres, et pourtant reliées par ce mot finalement très flou de Jazz.
Une ville ne parle pas, n'a pas d'idée, pas de volonté. Une ville est traversée de flux, d'énergies, de tensions. Une ville se parcourt, se perçoit, se contemple. Olivier Taïeb donne à son film cette ampleur en le laissant respirer. Aucun dialogue, aucun discours, pas de texte, pas de mots. La musique et sa ville, la ville et sa musique. Rien de plus et c'est déjà beaucoup.
Les plans sont le plus souvent fixes, captent un morceau de ville, une foule, des travaux, passent lentement, minutieusement, dans huit clubs, huit quartiers et découvrent autant de formations différentes en live, autant de musiciens et de façons de jouer, de tenir l'instrument. Des gestes précieux qui renseignent autant sur le jazz et son jaillissement, sur l'univers intérieur qu'il laisse entrevoir.
L'occasion de découvrir et d'observer (et bien souvent dans la musique improvisée l'observation des musiciens permet de mieux comprendre leur musique, la façon dont elle est conçue, dont elle se conçoit à chaque instant) le jazz exalté du Jason Lindner Band, les élans mystiques de Val-Inc, Martin Sewell et Jowee Omicil, l'abstraction rythmique de Field Work (Steve Lehman, Vijay Iyer et Tyshawn Sorey), la profusion de notes de Jaleel Shaw, le groove contenu et décalé de Chris Dave ou la magie synergique du trio Nasheet Waits (batt.), Eric McPherson (batt.) et Abraham Burton (sax.).
Jazzmix in New-York est un film à la forme épurée et dénuée de démonstration, bien en phase avec le jazz, sa liberté, sa cohérence interne déployée en multi-identité foisonnante. On attend avec impatience les prochains opus qui sont prévus à Istanbul, en Scandinavie et à Paris pour découvrir encore d'autres formes musicales magnifiques ainsi que les lieux qui les permettent.
En attendant, on peut se ruer au cinéma l'Entrepôt à Paris pour voir ce film, ainsi qu'au Balzac et à la Clé, plus tard, dans lesquels les séances seront accompagnées de concerts, puis dans de nombreuses salles en province.